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Chroniques Rostémides

La pyramide rouge

Sur les traces de Snefrou

Les pyramides étaient le tombeau des Pharaons,
ils n'en sortaient pour ainsi dire jamais"
Jean-Charles - Les perles du facteur


 

Lundi 27 décembre 2021 – Hotel Hilton Pyramids Golf.
Il est 7h30.  Depuis la baie vitrée du grand hall, nous guettons l’arrivée du guide et de son chauffeur. Cinq minutes plus tard, le van blanc se pointe derrière le grand portail. Une barrière se lève et le voilà qui vient se garer dans la cour circulaire ornée de palmiers.

Momo, notre guide, descend du véhicule et vient à notre rencontre. Avant de partir, nous devons nous conformer à un protocole de sécurité. Un agent en uniforme, assis derrière une table, vérifie le badge de notre guide, ouvre un cahier et gribouille à l’aide d’un stylo à bille, quelques informations : Nos noms et prénoms, l’heure de départ et la destination. Sur ce, nous quittons l’hôtel pour notre destination du jour : La ville antique de Memphis, les sites funéraires de Saqqarah et de Dahchour.

Nous prenons la direction sud en contournant les pyramides de Gizeh que nous avons eu l’occasion de visiter la veille. Nous longeons le Nil sur sa rive gauche. Au bout de 40 minutes environ, nous arrivons au site de Dahchour, la première étape de notre parcours et la plus méridionale. On fait quelques pas, histoire de nous dégourdir les jambes et de découvrir les lieux, pendant que Momo nous rappelle le plan de la visite suivi d’un bref cours d’histoire, en bon français, s’il vous plaît.

Se dresse devant nous l’imposante pyramide rouge, haute de 100 mètres, érigée sous le règne du roi Snéfrou, père de Khéops (IVe dynastie de l’Ancien Empire, 2600 av JC). Le nom du monument  vient du matériau qui a servi à sa construction : la calcaire rouge. C’est une pyramide à faces lisses, considérée comme une réussite, comparée à la pyramide rhomboïdale qui l’a précédée et qui se trouve sur le même site, à quelques centaines de mètres.

Après quelques photos et des explications, Momo nous apprend qu’il est possible d’accéder à l’intérieur de la pyramide, en nous indiquant de son index la porte d’entrée qu’il faut gagner en escaladant un long escalier en pierre. Ma compagne hésite. Moi, d’emblée, je saute sur l’occasion. Encouragé en cela par un couple de touristes que je vois s’engouffrer de loin.

Je les suis naturellement et gravis les longues marches jusqu’à atteindre la porte d’accès, ouverte aux quatre vents. Juste à côté, assis sur un tabouret, un homme en abaya, la caboche coincée sous un turban, me souhaite la bienvenue en égyptien. On le croit sorti tout droit d’un feuilleton des années 70. Je le salue à mon tour et m’engage aussitôt dans la galerie semi-éclairée et pentue, qui ressemble à s’y méprendre à la descenderie d’une mine. Il faut baisser la tête, tenir les mains courantes de part et d’autre  et poser les pieds sur des planches, alignées comme des traverses. Elles permettent ainsi une descente graduelle et contrôlée, sinon c’est la glissade assurée.

Au fur et à mesure que j’avance vers le fond, la lumière du soleil faiblit jusqu’à disparaître complètement. Me voilà en pleine obscurité avec une douleur dans le dos qui augmente crescendo. Le couple de jeunes espagnols – ils débitaient sans cesse - qui me devançait et dont la présence me rassurait un tant soit peu est déjà loin. Je marque une courte halte pour réfléchir à la suite à donner à cette aventure. J’hésite pour savoir si je dois continuer ou rebrousser chemin, ne sachant pas, de surcroît, la distance qui me reste à parcourir pour toucher le … fond. Mon dos me fait toujours mal et je sens des fourmillements dans mes jambes, à cause de la position inconfortable de mon corps arc-bouté. L’absence de lumière devient pesante et j’ai beau écarquiller les yeux, rien ne transparaît  ni du bas ni du haut. Je me sens piégé et oppressé. Claustrophobes, s’abstenir !

Je pense à ceux qui m’ont précédé. S’ils sont arrivés, pourquoi pas moi, me dis-je. Et puis, ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de visiter une pyramide de l’intérieur. J’imagine qu’il y a un tas de gens, entre spécialistes et amateurs, qui en rêvent. Je me résous à continuer, malgré tout.

Au bout de deux ou trois minutes, je commence par voir le bout de la galerie, grâce à une lumière d’un jaune blafard qui jaillit presque à la dérobée. Encore quelques traverses et me voilà arrivé à destination. J’essaie de me relever doucement et en pandiculant. Une famille française entame la remontée vers la surface sous la pression de leur rejeton qui ronchonnait, impatient de retrouver l’air libre.

Il me faut encore traverser un petit corridor dont la sortie donne sur une pièce sombre et haute, faiblement éclairée, couverte d’une voûte en encorbellement. Je suis soulagé de retrouver le jeune couple. Ils prennent des selfies, dos au mur. Eux aussi sont ravis de me voir, je pense.  Je souffle à peine que la fille au sourire accort me tend son smartphone pour quelques poses qui seront diffusées sur les réseaux sociaux, à n’en point douter.

L’endroit est lugubre et austère. Une deuxième pièce contenant le tombeau du roi est située plus haut. On y accède en empruntant un escalier en bois. Des murs hauts en granit et un tas de pierres sur le côté masquent un puits profond menant au caveau royal. Disons un cénotaphe car il n’y a ni momie, ni sarcophage, ni trésors enfouis ! Les pilleurs sont passés par là, il y a bien longtemps. De retour à la  pièce centrale, le garçon du couple me propose à son tour de me prendre en photo. Cela ne pouvait mieux tomber. Car non seulement je suis nul en selfies, mais en plus, je n’ai pas de perche, pouvant me prendre de loin. Un échange de bons procédés, somme toute.

Le couple ibère quitte aussitôt ce lieu oppressant et mal éclairé. Je me laisse emporter par mon imagination, impressionné par la capacité des pharaons à ériger, en ces temps anciens,  de tels édifices complexes. Avec quelles techniques ? quels moyens ? Comment a-t-on fait pour descendre les dépouilles et les emmurer de la sorte, avec trésors et victuailles ? Il y avait une part de génie chez ces gens-là. Ou plutôt de folie, qui sait.

Soudain, je me rends compte que je suis seul. Pris d’angoisse, j’arrête de réfléchir et de penser au passé. Des idées sinistres commencent par me traverser l’esprit. Je sens un diable rouge me tapoter l’épaule gauche avec sa fourche, rouge elle aussi.

Et si, d’un coup, tout s’effondre ? Un séisme ? Des inondations ?  Ou tout autre cataclysme ?  La pièce ressemble, certes, à un ascenseur mais il est vain de chercher le gros bouton rouge pour appeler les secours. Non seulement il n’existe pas mais j’imagine, à tort peut-être, qu’aucun son ni  aucune onde ne peuvent sortir d’ici. Un trou noir, quoi !

Dans cette situation de détresse, mon imagination déborde et me laisse échafauder plusieurs hypothèses. 
Dans un cas, j’ose croire candidement que les secours daignent bien venir jusqu’ici pour m’extirper de ce piège profond. Mais le temps qu’ils arrivent, j’aurais déjà rejoint Snéfrou et sa communauté dans l’au-delà, 4500 ans après. Vous rendez-vous compte ?

Dans un autre cas, qui me paraît le plus plausible, c’est que les gardiens zélés du patrimoine n’autorisent aucune intervention qui puisse dégrader le site, même en ruines ! C’est leur gagne-pain et ce qui fait leur prestige et leur renommée. Je ne pèse rien devant la valeur de ces pierres, inestimables à leurs yeux. Et là aussi, j’aurais rejoint la bande à Ramses and Co, mais pour non assistance à personne en danger, cette fois-ci.

Ce sera fatal, dans les deux cas.

Pris de panique, j’essaie de débarrasser mon esprit de ces élucubrations funestes. Aussi, je prends mes pieds à mon cou et me dirige illico vers l’entrée de la galerie. J’entame une course effrénée, regardant droit devant moi, impatient de voir les premiers rais de soleil et d’espoir. Signe que la porte d’entrée est encore ouverte.

En remontant à la surface, je me redresse et frappe machinalement les manches de ma veste pour chasser la poussière blanche qui les macule. J’essaie de tenir sur mes guibolles qui sont sur le point de flancher. Le gardien, toujours à son poste et me voyant essoufflé, me prête volontiers sa chaise et, le doigt sur la couture du pantalon – ou de sa abaya, si vous voulez -  se met en position quasi-militaire. Je le remercie et il me rétorque avec emphase : "À votre service efendi !". Après avoir repris mes esprits, je lui laisse un pourliche et descend les marches qui me séparent de ma compagne et de Momo. Ils se gondolent de loin, me voyant presque tituber avant de les rejoindre. Le chauffeur a profité de mon absence pour se rafraîchir d’un somme.

Sur l’instant, je dus battre ma coulpe d’être tombé dans la tentation de cette aventure débilitante. Momo m’avait averti pourtant, sans aller jusqu’à m’en dissuader. Khéops, c’est plus intéressant, qu’il me dit. Mais il y a du monde, c’est payant et il faut réserver.

On quitte aussitôt le plateau de Dahchour en direction de la nécropole de Saqqarah et ses mastabas, avant de rallier Memphis, la ville antique, ultime étape de notre excursion. Le ciel est d’un bleu éclatant et un soleil froid irradie le site où des cohortes de touristes continuent d’arriver en ordre dispersé. 

Malgré tout et avec le recul, cette expérience fut … profonde et méditative au demeurant. Aucun regret.

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A
Toujours la minutie de la description et les sensations diverses qui caractérisent cette visite.En somme c'est la pyramide rouge comme si nous y étions.Bavo!
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